Lacets
Là se lace la scène de la vie au vide ORdinaire.
Mercredi qu’il est midi et quelques minutes qui passent à chaque seconde.
Je m’assois à la terrasse d’un café.
Je commande un café et un verre d’eau. 1€80.
Je les bois.
La rue est piétonne est commerçante.
J’aime regarder les passants passés.
J’aime regarder les passants pressés.
Tic et tac, toc et toqué
Emboitent le pas de ceux passés devant soi.
Les visages ressemblent à tant d’autres déjà croisés dans l’ailleurs voisin.
Le point-virgule de la démarche cabossée d’un passant juste un peu moins pressé
ripe sur mon oreille coupée.
Il passe comme les autres.
Tic-tac, des tocs et des stocks, ça destock.
Des tas de sacs et de paquets, des trucs et des machins,
Des choses et des bidules pendulent au bout de bras montés sur des pas stressés.
Garçon une pression-citron, commande un papa pressé.
Le mien l’était aussi, il est parti avant les autres.
Il s’est tue et tué un soir d’été sur une route en lacets.
Juste là, à quelques pas de moi, sans papa ni personne
Un petit garçon attend seul.
Tic-tac, le temps me pique et la tique attaque sans tact ni tactique.
Un garçon d’un tout petit mètre de haut est planté là devant le pas d’une boutique de plats.
C’est un traiteur où tout est prêt à emporter à consommer là tout de suite maintenant parce que quand j’ai faim je peux pas attendre sinon je crie sinon je fais pipi je dis je veux çà et là, oui tout ça et tout de suite, c'est à moi, non pas à toi et toi tais-toi, en laisse pas enlacé laisse-moi passeeeer, je suis presséeeeeee.
Le petit garçon est toujours là.
Je le vois et puis je le regarde. Je l’entends.
Il dit nan, non man, elle ment, maman, ma Maman.
Je l’entends, il appelle sa maman.
Maman, ma maman ment, elle ment, maman manque.
Maman, ma menthe à l’eau est religieuse, elle me dévore et me manque, ma maman m’a manqué, m’a loupé, je ne suis rien qu’une ratée.
Ma maman où es-tu, tu es, tuméfié, tu m’effraies, pourquoi m’as-tu laissé ?
Passants lascifs dépassent le petit garçon, passifs.
Tic-tac troc et tour de passe
Passe-moi le temps que je ressasse
Que je le noie, le caresse, le décompresse
Laisser filer sans trop serrer les lacets de l’ennui amassé.
Le temps s’est tué un soir d’été
En un rien de temps s’en est allé
L’ogresse me presse, l’autre m’agresse, engraisse mes paresses.
Et toi tu stresses de tous ces S.
S comme salaud, S comme sabot, S comme SS.
J’entends le ressac et les pas du passé résonner sur le pavé.
Réapparaissent les prêtres et les prêtresses, les maîtres et les maîtresses
Et La Leçon de Ionesco n’a pas été apprise.
Tête baissée sur les pas passants, le petit enfant attend.
Regard hagard, il ne rêve pas.
Des pas passent et repassent sans prêter attention au si petit garçon.
Des pas passent, le contourne, se détourne et tourne à l’angle de la rue.
Sans doute et sans doudou, le petit garçon attend le papa traitre qui traite le sein
du traiteur ?
Pas de quoi en faire tout un plat !
Le papa du garçon est sûrement là à quelques pas.
N’est-ce pas ?
Les minutes attaquent.
Tic et tac bonbon en boite claque et clope un tas de tic et de tacle du tac au tac
Et le petit garçon reste là.
Fa(r)ce à moi.
Je quitte ma tasse et ma table.
Passe parmi des corps assis dans la mare du café terrasse où un nuage de fumée tournoie et
m'encercle. Corps aspirants expulsent par le nez et la bouche des cendres de mots avortés.
Ici-bas, sur la frange, juste au bord, un petit garçon, le tout petit garçon.
Est-ce pour cela que personne ne le voit ? Peut-être est-il si petit que personne ne lui parle.
Est-ce pour cela que personne ne lui parle ? Peut-être est-il si petit que personne ne le voit.
Nie la dame du traiteur, nie le cafetier, nient les passants pressés.
Lacets défaits, il n’y a personne d’autre que lui aux pieds de ses souliers blessés.
Ma maman lasse m’a laissé là.
Papa est passé de l’autre côté. Maman rêve de le retrouver.
Je suis toujours sur le pas de la porte, entre deux, entre eux deux,
À étendre les plis du temps sur un fil à lacet.
Et laisser filer le temps-vide de la vie délaissée.
Je suis seul(e) et j’entends tic-tac, À qui la faute ?
Mélodie Drissia Tabita.